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Sommaire


Partie I
-
Partie II
1. Cauchemar
2. Terre morte
3. Rouages
4. Kodo dans le Dédale
5. Miracles et Destinée
6. Feu et Eau
  Interlude
7. Mousson
8. Colosses
9. Courage et Piraterie
10. Eruption
11. Piments rouges
12. Za & Ja
13. Conclusion


Partie II



"La sagesse nous vient par les rêves."
Smohalla, Chef Nez-Percé





Chapitre 1 : Cauchemar




L'enfant était au bout du chemin.


Enfin.

Après quatre années d'isolement, quatre années d'apprentissage intensif, il était devenu un sorcier accompli et, tandis qu'il mesurait avec effroi la vitesse à laquelle le temps avait filé entre ses doigts, il voyait peu à peu des portes nouvelles s'ouvrir à lui.

Il lui restait cependant une chose à faire avant de franchir l'une de ces portes. Armé d'une torche, sa longue épée lui battant le côté, il descendit les échelons qui menaient aux égouts et, tandis que, pataugeant dans la fange, il empruntait pour la dernière fois le tunnel si souvent parcouru, infesté de rats et de chauves-souris, il repensa à tout ce qu'il était sur le point de quitter.

Ce caveau humide et sombre, ces longues heures passées à écouter l'enseignement d'un monstre répugnant, ces scéances d'entrainement souvent douloureuses, parfois à la limite du supportable...

Autant de choses qu'il ne regretterait jamais, et déjà l'idée de revoir la lumière du jour réchauffait son coeur et laissait présager d'un avenir meilleur.

Il parvint devant la petite porte de bois.

- Ei-Vene.

Les gonds rouillés tournèrent en grinçant.

Il entra dans la pièce, vaste et poussièreuse, et, sans prendre la peine d'allumer les torches, il s'avança dans l'obscurité. Les yeux mi-clos, il s'efforçait de maitriser son angoisse, qui grandissait à chaque pas.

Le bruit de ses bottes cessa.

Il posa un genou à terre.

Devant lui, recroquevillé sur le trône de bois ouvragé se tenait, à peine perceptible dans les ténèbres, le sorcier Pharoden. Plus sec et décharné que jamais, son corps mutilé semblait être prêt à tomber en poussière au moindre souffle mais, au fond de ses orbites creuses, l'étincelle malsaine luisait comme au premier jour.

- Teledel ?

L'elfe prit une profonde inspiration.

- Je viens vous remercier, maitre, et vous faire mes adieux.

Ces paroles furent accueillies par un silence pesant. Au bout d'un long moment, les os du sorcier craquèrent de nouveau :

- C'est bien. Je t'ai appris ce que je savais. Mais tu sais aussi ce que cela signifie.

Teledel se leva et s'avança en fixant Pharoden.

- Je le sais maitre. Je ne le sais que trop bien. Je n'ai qu'une question.

Tirant son épée du fourreau, il vint en appuyer la pointe contre le torse du réprouvé.

- Pourquoi ?

Il n'y avait pas de trouble dans sa voix. Simplement de la curiosité.

Pharoden soupira.

- Ha... C'est l'histoire d'un homme qui voulait percer un secret. Mais ce secret n'était pas fait pour être connu. Rongé par la douleur, il l'enseigna à un autre, et l'élève employa le secret pour occire son professeur. Devenu ivre de souffrance à son tour, il transmit le secret à un autre...

Teledel ne cilla pas.

- Ainsi se transmettent les arts sombres, mon jeune ami, et toi aussi, un jour, tu apprendras, à un jeune sorcier avide de conaissances, la manière de te délivrer. Crois-moi.

Teledel fit la moue.

- Je vous crois. Prêt ?

Pharoden acquiesça.

La pointe d'acier perça violemment le corps du sternum et, alors que, se frayant un passage entre deux poumons inactifs et déssechés, elle s'apprêtait à traverser de part en part le thorax du réprouvé, il la sentit vibrer, se charger d'une intense magie destructrice.

Salvatrice.

Jamais Pharoden n'avait eu un élève si doué dans la maitrise de la destruction, et seul un démoniste accompli était capable d'anéantir l'âme en même temps que le corps, épargnant au non-mort la damnation éternelle.

Tandis qu'il sentait l'acier broyer ses os et la magie fissurer les parois de son âme, le sorcier s'apprêta, enfin, à quitter ce simulacre de vie sans repos pour rejoindre un apaisant néant.

La vieille carcasse prit feu. L'âme se disloqua.


***



Un peu de lumière s'infiltra entre les rideaux de la chambre.

Teledel s'éveilla doucement, et fit rouler sa tête sur le côté. Les cauchemars issus de son passé le tourmentaient à mesure qu'il s'approchait de ses origines.

Mais ce sinistre passé était loin derrière, une vie nouvelle lui tendait les bras. Une nouvelle aventure. Il se leva d'un bond et écarta les rideaux d'un grand geste.


Le soleil rayonnant des Tarides vint inonder la pièce.




Chapitre 2 : Terre morte



Le cortège silencieux avançait au pas vers la cité du massacre.

Par cette froide matinée d'automne, un air sinistre se dessinait sur le visage de chacun, et chacun allait comme à regrets sur les chemins difficiles des Maleterres. A l'horizon, ils apercevaient les flammes éternelles de la ville dévastée qui, baignant l'horizon d'un rouge surnaturel, éveillaient dans leurs coeurs les pensées les plus sombres.

Zaarlath découvrait avec un effroi teinté de curiosité ce paysage du bout du monde et il voyait pour la première fois une terre sans soleil et des arbres sans feuilles.

Ce n'était pourtant pas vraiment un lieu de mort : ici, une vie malsaine grouillait de toutes parts, des choses qui auraient du être mortes s'animaient dans les fossés et les chairs flêtries semblaient dotées d'un souffle.

Sur ces terres, rien de ce qui était mort ne le restait bien longtemps et les âmes privées de repos, séquestrées dans des corps mutilés, erraient, pleines de haine, cherchant dans la douleur d'autrui un remède à leur propre supplice.

Les chevaux, soudain, se cabrèrent. A quelques mètres de là, barrant le chemin de toute sa largeur, une silhouette massive commença à se découper dans la brume. C'était une créature immonde et gigantesque, un assemblage grotesque de morceaux de chair humaine, qui suivait d'un pas lourd un personnage de petite stature arborant une coiffe cornue

- Arrière, chercheurs de gloire ! Ces terres ne sont pas les vôtres ! Seules la mort et l'oubli vous attendent à Stratholme !

Vakivaltä, la soldate elfe, qui n'était pas du genre à se laisser dicter sa conduite, n'avait pas attendu pour descendre de cheval.

- Hors de mon chemin, impie, ou tu en paieras les conséquences !

Comme l'homme se contentait de sourire d'un air narquois, elle se jeta en avant, lame au clair, décidée à en découdre. Mais déjà l'énorme abomination s'était interposée et l'acier tranchant vint s'empêtrer dans les chairs déjà mortes, laissant le temps au Nécromancien de s'éclipser.

Un violent combat s'engagea.

La petite troupe, qui pensait bénéficier de l'avantage du nombre, fut bientôt submergée par un flot de goules et de zombies qui, attirés par les bruits du combat, avaient déferlé dans la passe.

Tandis que Vakivaltä tournait autour du monstre, cherchant en vain un point faible, Zaarlath, cramponné à son baton de marche, observait la scène, terrifié, ne sachant comment se rendre utile.

Il évita de justesse un coup de griffe. Une petite goule, ayant vu en lui un gibier moins coriace, s'était jetée sur lui, la bave aux lèvres. Il esquiva un second coup, puis un troisième. Les pas de danse qu'il avait appris à Proie-de-l'Ombre lui revinrent instinctivment lorsque, soudain, une énorme main verte saisit la goule par le cou et, d'une seule pression, lui pulvérisa les cervicales.

- T'es vraiment adorable ma p'tite ballerine, mais faut pas jouer avec ces bêtes là ! grommela l'orc.

Avant qu'il n'aie pu réagir, sa cheville fut agrippée par un main squelettique qui venait de s'extraire du sol. Deux goules se jetèrent sur lui et il tomba à la renverse, se débattant en vain. Zaarlath, se précipitant en avant, leva son baton et assèna des coups redoublés sur les têtes des deux monstres jusqu'à ce que leurs crânes tombent en poussière, mais il était déjà trop tard : le guerrier gisait, inerte, dans la mare de son propre sang.

Terrifié, le troll regarda autour de lui en quête d'assistance, mais de la compagnie, il ne restait que Vakivaltä, toujours aux prises avec son énorme adversaire, dont les gestes larges étaient si puissant qu'aucun autre monstre n'osait l'approcher.

Les chevaux qui ne s'étaient pas enfuis avaient fini en pièces et des nombreux guerriers il n'en restait aucun en vie.

Tremblant plus que jamais et voyant les non-morts s'approcher en se léchant les babines, Zaarlath brandit, en dernier recours, la figurine de bois reçue lors de ses treize ans, et clama d'une voix forte :

- Esprits de la Terre, aidez-moi !

Les goules se figèrent un instant, surprises. Rien ne se produisit.

- Esprits de la terre, je vous invoque !

Toujours rien. Les goules reprirent leur avancée.

Tout était perdu. Ils allaient mourir. Le totem roula sur le sol.

C'est alors que quelque chose arriva.

Zaarlath sentit une secousse infime sous ses pieds nus. Une autre plus forte. Puis une autre. Personne autour de lui ne semblait avoir rien remarqué, ni l'elfe, ni les monstres.

Mais lui, il les percevait.


Et soudain, il les vit.

Comme sculptés à même la brume, d'étranges formes glissaient au dessus de la passe, irradiant d'une magie saine et chaleureuse qui emplit son coeur d'une énergie nouvelle.

Reprenant espoir, Zaarlath fit tournoyer son baton au dessus de sa tête, faisant pleuvoir les coups ici et là et, rendu intouchable par son exceptionnelle maitrise de la danse, il finit par créer autour de lui un large cercle dans lequel plus aucun monstre n'osait s'aventurer !

Vakivaltä aussi semblait avoir reçu, sans la comprendre, cette mystérieuse force, et ses coups redoublèrent de violence, taillant les chairs avec fureur. Tandis que l'abomination cédait peu à peu sous sa lame, et qu'une horde de squelettes fondait maintenant sur elle, la soldate sourit. Sur son visage couvert de sang se dessinait à présent un mélange de haine et d'excitation, mais plus la moindre trace de desespoir !


Après avoir achevé son dernier adversaire à grands coups de pommeau, elle vint en aide au jeune troll et, bientôt, ils restèrent seuls, debouts au milieu du champ de bataille.

Zaarlath s'accroupit pour ramasser le totem qui gisait entre les ossements, mais à peine se fut-il relevé qu'une main gantée de fer lui arracha la figurine.

Le regard de Vakivaltä se posa tour à tour sur la pièce de bois, puis sur son jeune écuyer. Avec dans les yeux un lueur qui ne présageait rien de bon, ellereprit ironiquement les paroles de Denjai :

- Pas bon à grand chose, hein, Crin d'Feu ?



Zaa



Chapitre 3 : Rouages



L'atelier, bien que vieux et grinçant, était parfaitement entretenu.

Pas un grain de poussière ne s'y était déposé, et une douce lumière, glissant à travers des carreaux propres, inondait la pièce et se reflétait sur les inombrables machines ronflantes et cliquetantes qui emplissaient chaque recoin.

La jeune orc qui tenait maintenant l'orphelinat avait dit qu'il se trouverait là.

A Tranchecolline.

- Heu... Job ?

Un grand fracas retentit soudain, quelque part dans le fond, suivi des bruits distincts de trois coucous mécaniques différents et du mugissement d'une corne de brume.

Teledel et Erzsébet se précipitèrent en avant et aperçurent alors un petit personnage, coiffé d'énormes lunettes de sécurité, qui vaporisait sur sa dernière création le contenu bleuté d'une grosse bombonne de verre. Lorsque la fumée eut produit son effet, le gobelin releva ses lunettes sur son front et adressa un sourire radieux à ses deux visiteurs.

- Hé bien ! On est passés pas loin de la catastrophe ! Que puis-je pour v...

Son regard se posa sur le visage de Teledel. La bombonne glissa entre ses doigts et roula sur le plancher...


***



Le gobelin avait beaucoup vieilli. Il était plus vouté que jamais et tout autour de son crâne vert, des cheveux épars d'un blanc argenté formaient une mince couronne tombante. Son front s'était couvert de profondes rides, mais sous ses épais sourcils, ses petits yeux noirs étaient toujours ornés des mêmes pattes d'oie rieuses et du même éclat malicieux.

- Du thé, les gamins ?

- Avec plaisir, Job.

Il leur servit un thé au jasmin préparé dans l'une de ses inventions bizarres, une sorte de théïère mécanique qui soufflait et sifflait pendant l'ébullition, puis, s'asseyant dans un fauteuil dont les accoudoirs s'ajustaient automatiquement à la hauteur de ses coudes, il commença à bombarder Teledel de questions.

Il voulait tout savoir !

Ce que le jeune elfe avait fait après son départ, comment il avait gagné sa vie ! Et qui était la charmante demoiselle qui l'accompagnait ? N'était-elle pas un peu jeune ?

Se débattant sous un flot de paroles empressées, Teledel improvisa un mensonge, parlant vaguement de sa vie de marchant itinérant, et de sa belle-fille, qu'il emmenait découvrir le monde, loin des jupes de sa mère. Cette mauvaise idée amena de nouvelles interrogations sur son épouse fictive. Que pouvait bien raconter sur le mariage un voyou dont le seul semblant de famille était constitué de réprouvés tyranniques ?

Il tenta donc de détourner la conversation vers son métier de marchand. Grave erreur, il dut aussitôt contenir l'enthousiasme du gobelin qui lui proposa toutes sortes d'objets hétéroclites, des bricoles sans valeur et des machines à l'usage discutable, comme, par exemple, un robot nettoyeur de table basse, qui nettoyait bel et bien les tables basses, mais en expédiant leur contenu sur le plancher.

Lorsque, enfin, le gobelin ne trouva plus rien à dire, il attrapa sa tasse de thé et remua doucement le liquide désormais froid.

Teledel en profita :

- Heu, Job, je voulais te demander... A propos de mes parents... Tu ne saurais pas quelque chose qui pourrait m'aider à les retrouver ?

Le gobelin dévisagea l'elfe d'un air grave avant de déposer sa tasse, sans en avoir bu une goutte. Il sembla hésiter, fronça les sourcils, puis soupira, résigné.

- Ca devait arriver un jour, hein gamin ? Tu seras surement déçu du voyage, car je ne sais qu'une seule chose sur tes parents : ils portaient la Marque.

Erzsébet haussa un sourcil.

- La Marque ? La Marque du Fléau ?

Les deux autres la dévisagèrent, surpris.

- Tu... tu sais ce que c'est ? interrogea Teledel qui, lui même, n'avait aucune idée de ce dont il était question.
- Bah évidemment. La Marque, la Marque maudite, développée par les Nécromanciens du Fléau. Elle a été très utilisée lors de l'invasion de Quel'Thalas, car elle agissait plus vite que le grain contaminé.
- C'est à dire ?
- Bah le grain contaminé... le Fléau... La peste d'Andhoral, qui transformait les gens en damnés !

Devant l'air ahuri des deux autres, elle s'empressa d'ajouter :

- Je l'ai lu dans un livre, un livre sur la grande guerre ! On apprend plein de choses dans les livres, Tel, tu devrais essayer !

Teledel toussa bruyamment et s'efforça d'en revenir à ses parents :

- Et, ça voudrait dire qu'ils sont aujourd'hui... mort-vivants ?

Job et Erzsébet acquiéscèrent.

- Ils pourraient être... réprouvés ? Je veux dire... je pourrai peut-être leur parler, nan ?
- Je crains que les chances ne soient maigres, gamin, objecta le gobelin. Depuis que l'autre affreux est revenu aux commandes, le Fléau n'a plus perdu un seul de ses soldats. Et quand à discuter avec un damné...

Job désigna d'un geste large les machines en tous genres qui peuplaient l'atelier.

- C'est comme discuter avec un pantin, un automate. Car les damnés ne sont rien de plus... Des corps privés d'âmes, de simples dépouilles animées. Des marionettes, gamin.

Teledel était un peu perdu.

- Heu, l'autre affreux ?
- Mais tu as vécu dans une grotte avant de me connaitre ? persifla Erzsébet. Ne me dis pas que tu ne connais pas...
- Sa majesté le Roi Liche, seigneur et maitre du Fléau. Jadis, c'était le Prince Arthas, Paladin de la Main d'Argent et aujourd'hui, c'est le mal en personne. Un bel exemple de la décadence des hommes, gamin...


Soudain, un cri retentit quelque part dehors :

- AUX ARRRMES !

Quelques secondes plus tard, le tocsin résonnait dans Tranchecolline. Déboulant sur la place, les trois compagnons virent les citoyens orcs se ruer vers la caserne et en ressortir, armés jusqu'aux dents de cimeterres, de haches et de masses. Les gardes grunts avait fermé les portes du village et dans chacune des frêles tours de guet, quelques trolls bardés de javelots s'apprêtaient au combat.

Teledel se hissa sur la maigre palissade qui entourait la place et, entre deux pieux de bois, il put voir, marchant tout droit vers eux d'un pas martial, un large bataillon d'hommes avec, à leur tête, une jeune femme au visage constellé de tâches de rousseur.




Chapitre 4 : Kodo dans le Dédale



A nouveau, il était seul.


Décidémment.

Vakivaltä, en découvrant la magie dont avait usé Zaarlath, s'était figée et, sans hausser une seule fois la voix, elle lui avait expliqué avec froideur qu'un Paladin digne de ce nom ne pouvait marcher au coté d'un adepte de chamanisme et de sorcellerie païenne.

Le jeune troll ne comprenait même pas ce qu'il avait fait. Cependant, sa maitresse ne lui cacha pas sa reconnaissance : grâce à son savoir médical, il avait soigné de nombreuses fois ses blessures, guéri des poisons que les prêtres des elfes disaient incurables et, pour la dernière fois dans les maleterres, la brusque révélation de ses pouvoirs leur avait tout simplement sauvé la vie. C'est pourquoi, en guise de remerciement, elle estima que rendre sa liberté à son ecuyer serait la meilleure solution.

Ils étaient rentrés au campement, et elle lui avait offert une monture, un petit kodo gris, qu'il appela Crumble, en souvenir du vieux cuistot.

Zaarlath avait formulé un dernier souhait avant de partir : il désirait apprendre à lire.

Surprise par cette étrange requète, Vakivaltä ne sut que répondre. En ces temps troublés, la transmission du savoir n'était pas vraiment favorisée. Elle lui conseilla de partir vers l'Ouest : là-bas se dressaient les ruines d'une gigantesque cité, toute entière consacrée à la connaissance. S'il parvenait à en contourner les défenses et à s'y infiltrer, il pourrait y trouver la plus grande bibliothèque du monde et, s'il était assez futé, il pourrait sans doute apprendre par lui-même.


Et c'est ainsi qu'il s'était retrouvé là, suspendu à un lustre, quelque part dans une immense cité humaine du nom de Dalaran...

Laissant Crumble attaché à un arbre, il avait rampé dans les égouts de la ville, contourné les patrouilles de gardes et les ouvriers qui travaillaient sur la zone en réparation, pour enfin parvenir à la partie condamnée de la cité, qui abritait le Grand Conservatoire, majestueux bâtiment dont l'entrée ornée de magnifiques colonnes était verrouillée par une myriade de sortilèges impénétrables. Incapable d'en défaire un seul, Zaarlath était monté dans la tour la plus proche et de la haut, il avait sauté sur le gigantesque dôme du monument. Une telle chute aurait certainement tué n'importe quel être humain, mais Zaarlath était le premier troll à essayer, et il s'en tira avec les chevilles et les poignets endoloris.

Il était ainsi entré par le toit, se glissant dans l'ouverture béante qui le balafrait, séquelle des guerres passées contre la Légion Ardente. Il cherchait son chemin vers le rez de chaussée lorsque, soudain, les dalles de marbre fissurées et craquelées avaient cédé sous ses pas. Voyant avec horreur le sol se décomposer sous ses pieds, il n'eut que le temps de se raccrocher au lustre qui pendait au plafond de l'étage inférieur, et de fermer les yeux, souhaitant de tout son coeur que, quand il les rouvrirait, il sentirait sous lui le doux tissus des hamacs de Proie-de-l'Ombre.

Il était accroché là depuis une bonne minute lorsque, osant enfin ouvrir les yeux, il découvrit avec soulagement que les vieilles poutres de bois qui retenaient le lustre étaient toujours intactes. Remerciant pour la première fois ses ancêtres de l'avoir doté d'un corps si frêle, il laissa tomber son regard pour découvrir, mauvaise nouvelle, ses pieds, qui se balançaient dans le vide, à une bonne trentaine de mètres du sol.

Juste en dessous de lui se trouvait la vaste bibliothèque de Dalaran, une salle immense dans laquelle s'alignaient à perte de vue de larges étagères couvertes de livres poussiéreux. Malgré l'état de la ville et le manque d'entretien, les vieux sortilèges protégeaient toujours les vieux manuscrits de la moisissure et des insectes et, sous leur voile grisâtre, ils étaient tous intacts.

Zaarlath se hissa sur le lustre et s'y assit plus confortablement pour contempler cet incroyable trésor, cet océan de savoir qui s'étendait là, juste sous ses pieds. Du haut de son perchoir, il put constater que les allées de la bibliothèque n'étaient pas disposées de manière régulière : les étagères avaient été installées de façon à former un vaste labyrinthe dans lequel certaines zones paraissaient tout particulièrement difficiles à atteindre. Elles étaient sans doute réservées aux ouvrages les plus importants...

Il fut brusquement tiré de ses rêveries lorsque le bruit d'une explosion se fit entendre. Levant la tête, Zaarlath put voir les larges vitres du Conservatoire vibrer tandis qu'elles se teintaient d'une lueur orangée. Quelque chose, dehors, avait pris feu.

BOOM !

Une seconde explosion retentit, et Zaarlath vit soudain la grande porte de la bibliothèque voler en éclats, dans un vacarme de bois brisé, d'acier tordu et de sortilèges rompus, pour laisser s'engouffrer une petite troupe d'aspect hétéroclite. Perché sur son lustre, il se pencha en avant afin de mieux distinguer les nouveaux arrivants. Un elfe en robe comptait à la hate les personnes qui passaient la porte :

- Turgon, Punker... Et douze ! Manque plus que le chef !

Une voix féminine retentit à l'extérieur :

- Zaknafein ! Cuiseur de nouilles ! tu pourrais venir m'aider !
- De suite ma mie !

L'elfe se précipita dehors pour revenir en compagnie d'une guerrière, tous deux soutenant tant bien que mal une imposante créature qui, grièvement blessée, répandait un flot de sang sur le chemin. Zaarlath reconnut aussitôt cette silhouette :

- Tautor !

Zaknafein hurla :

- Ferrrmez les portes !!!

Elendel, son épouse, lui jeta un regard courroucé :

- On peut plus, pauvre tarte, tu les as faites péter !
-Heu... bah... Barrricadez-les !

Un jeune troll coiffé d'une crête blonde intervint :

- Heu, attendez, y a ce kodo qui nous suit !

Surpris, Zaarlath vit Crumble débouler au petit trot dans la salle, juste avant que les aventuriers n'en bloquent l'accès à l'aide d'une lourde étagère. Puis tous s'organisèrent pour défendre les lieux. Zaknafein donna des directives avant de s'adresser à Elendel :

- Veille sur le chef, je vais chercher le bouquin !
- Et à quoi il nous sert le bouquin si on peut plus sortir ?

Il lui lança un sourire un peu faux :

- Allez, on s'est déjà tirés de pires situations !

Et sans attendre, il s'engouffra au pas de course dans le dédale de la bibliothèque. Du haut de son lustre, Zaarlath le vit se lancer dans un cul de sac. Sans hésiter une seconde, il cria à pleins poumons :

- Pas par là !

Zaknafein stoppa net et, intrigué, regarda tout autour de lui avant de lever les yeux et d'apercevoir le jeune troll. Plissant les yeux, il sembla le reconnaitre :

- Hey ! Hey ! Hey ! Crin d'feu, nan ? Crin d'feu sur un lustre, quelle ironie ! Bon, écoute, pas le temps de faire des jeux de mots. Est ce que tu pourrais jouer convenablement ton rôle de bougie et m'éclairer dans ces ténèbres grandissantes ?
- Heu...
- Trouve moi la rubrique des ouvrages condamnés !
- Et comment je la reconnais d'ici ?
- Facile, elle est condamnée !

Moyennement sur d'avoir compris les traits d'esprit du magicien, Zaarlath scruta le dédale, lorsqu'un bruit sourd retentit du côté de la porte :

- Des mortiers ! Visez les nains ! Les nains ! vociféra Elendel.

Zaknafein se fit pressant :

- Grouille, petit troll ! On a pas toute la journée !


Zaalath aperçut alors une zone de la bibliothèque ou les étagères avaient été disposées en carré, ne laissant aucune ouverture par laquelle entrer. C'était bien entendu indécelable depuis le sol. Il commença donc à guider le magicien :

- Tout droit ! Gauche ! Gauche ! Encore gauche ! Enfin ma gauche, droite quoi ! Tout droit !

Zaknafein, courant à toutes jambes sous sa longue robe, s'essoufflait rapidement, mais les bruits de ses amis menant la bataille aux portes du conservatoire lui redonna courage, et il allongea la foulée au rythme des tirs de mortier.

- Comment ça se passe pour eux Crin d'feu ?
- Ils reculent ! Les sorciers gagnent du terrain ! Droite !

Elendel hurla :

- Tous dans le dédale !
- Ha, je la reconnais bien ma douce... Ils n'oseront jamais abimer leurs précieux bouquins. Alors que moi...

Il était arrivé. Levant les yeux, il vit Zaarlath lui confirmer d'un signe de tête qu'il se trouvait devant la section des oeuvres condamnées. Une simple étagère le séparait de l'ouvrage convoité. Glissant sa main dans les pans de sa robe, il en tira une longue baguette en bois clair, et la pointa sur les livres.


Une immense gerbe d'étincelles jaillit du petit bout de bois, embrasant instantanément les ouvrages millénaires.




Chapitre 5 : Miracles et Destinée



Dame Pixelle trépignait d'impatience.

Il avait été difficile de convaincre le haut Conseil de Hurlevent de lui accorder le commandement d'un tel régiment. Tous étaients Chevaliers, paladins des différents ordres du royaume, et chacun avait maintes fois prouvé sa foi et sa détermination au combat. Ils étaient deux-cent, tout au plus, couverts d'armures scintillantes et prêts à livrer bataille à tous les païens, impies et hérétiques qui souillaient Azeroth.

Mais pour Pixelle, c'était un autre type de croisade.

Elle avait des questions pour le fils de Durotan, et était bien décidée à obtenir des réponses...

***



Dans Tranchecolline, soldats et miliciens s'affairaient. On montait à la hâte des barrages de fortune, on menait les femmes et les enfants au coeur du bastion... Teledel courait dans tous les sens, aidant partout où il le pouvait. Erzsébet, elle, était en train de rassurer un enfant qui, dans la cohue, avait perdu sa mère.

Pendant ce temps, Job avait disparu. Teledel était en train de pester contre la maudite neutralité des gobelins lorsqu'il vit son mentor revenir, courbé sous le poids de tout le barda métallique qu'il transportait.

- Mais... C'est quoi tout ça ?

Job tendit à l'elfe un objet étrange, une sorte de long fusil à lunette, doté d'un canon particulièrement large.

- Tiens, prends ça, tu feras des ravages ! On ne peut pas attendre de renforts d'Orgrimmar, alors on va faire avec ce qu'on a !
- Heu, merci, mais c'est pas trop mon truc les armes à feu. En plus je préfèrerais avoir une main libre pour... Enfin tu sais, au cas où...

Le gobelin n'était pas dupe.

- T'as viré sorcier, hein gamin ?

Teledel baissa les yeux, honteux.

- Oui mais... Enfin...
- Mais pourquoi tu l'as pas dit plus tôt, tête de gnoll !? C'est notre chance !
- Hein ?

***


A Dalaran, la situation empirait à chaque minute.

Trainant un Tautor agonisant, les troupes de la ville toujours après eux, les Crumbles s'étaient engagés dans le dédale de la bibliothèque et couraient, suivant les indications de Zaarlath, pour rejoindre Zaknafein.

Le troll sursauta lorsqu'une balle lui siffla à l'oreille, allant ricocher sur la lourde chaine du lustre. Des fusiliers nains l'avaient pris pour cible et s'apprêtaient à le changer en gruyère.

- Saute Crin d'Feu ! Saute ! Fais moi confiance !

Zaarlath n'avait pas vraiment confiance, mais il n'avait plus vraiment le choix non plus. Il utilisa son poids pour faire balancer le lustre et, lorsque ce dernier eut pris un peu de vitesse, il s'élança dans les airs en direction du mage. Zaknafein attendit que Zaarlath soit à quelques mètres du sol pour lancer une incantation qui ralentit brusquement sa chute et lui permit de se poser en douceur.

La petite équipe était réunie mais les forces du Kirin Tor approchaient de plus en plus, et avec Tautor sur le dos, ils seraient vite rattrapés.

- Mes amis ! clama Zaknafein, je vous présente Zaa... heu... Zaza ! Bon, on va dire Crin d'Feu ! Ce p'tit troll est un ami des Crumbles !

Zaarlath rougit jusqu'aux oreilles avant de se remémorer brusquement sa qualification première.

- Tautor ! Posez-le par terre ! Je peux le soigner !

Pendant que le troll sortait herbes et onguents des sacoches de son kodo, Zaknafein essaya de se rendre utile. Il roula sa cape en boule et tenta de faire barrage au flot de sang qui s'échappait abondamment du flanc ouvert du Tauren.

- Hé bien, Crin d'Feu ! Tu as un sens des priorités pour le moins bizarre ! Encerclé et acculé, toi, tu fais ta cuisine ! C'est bien, remarque ! C'est bien l'esprit Crumble, ça !

Zaarlath esquissa d'abord un sourire timide puis, levant la tête et voyant les mines atterrées de ses compagnons, il afficha un air rayonnant et dit d'une voix forte :

- Hé ! Je peux le sauver ! On va se rendre et se faire emprisonner, mais on sera tous vivants, d'accord ?

Zaknafein ouvrit des yeux ronds :

- Nan mais regardez-moi ça ! Petit troll est devenu grand ! Bon, vous avez entendu le p'tit chef ? Changez-moi ces mines d'enterrement !

Puis il ajouta, plus bas, à l'attention de Zaarlath :

- Faudrait quand même que tu me dises ce que tu faisais ici, Crin d'Feu...
- Comme vous... je vole des livres.
- Heureuse coïncidence. Dis, tu peux vraiment le sauver ? Ca saigne beaucoup là et...

Non. Il ne pouvait pas le sauver. Pas dans ces conditions. La blessure était trop large pour être pansée avec des lambeaux de tissus, et les onguents de cautérisation semblaient n'avoir aucun effet. Quelle importance de toute façon ? Ils allaient tous mourir. Zaarlath chercha au fin fond de ses souvenirs le visage de sa belle Valrezza. cette pensée fit apparaitre sur son visage un sourire radieux.

- Je peux le sauver. Fais moi confiance.
- Mais pour nous il faudrait un miracle, hein ?
- Qui sait... C'est quoi ça ?

Une sacoche pendait au côté de Tautor et, à travers le tissu, une lumière blafarde émanait doucement.

- Par les tartes aux cerises de Miri !
- C'est quoi ? C'est quoi ?
- Un miracle !

***


Erzsébet était hors de vue.

Il en fallait un troisième. Teledel attrapa par la veste un jeune tauren, tout de vert vêtu, qui passait par là.

- Salut, moi c'est Tel, et toi ?
- Heu, Ledah, m'sieur.
- Ok Ledah. Voici Job. Job et moi avons besoin de quelqu'un pour invoquer des amis et... roooh, puis merde. Donne-moi ta main et répète !
- De la magie noire, m'sieur ?

Teledel regarda le tauren de la tête aux sabots. Malédiction, un druide.

- Bon, écoute, c'est pas vraiment le moment pour les accès de conscience. Donne-moi ta main et discute pas !
- D'accord, m'sieur.
- Et arrête avec m'sieur !

***


Les pas des soldats résonnaient, toujours plus près dans le dédale. De la besace de Tautor, Zaknafein extirpa doucement, précautionneusemment, une sorte de gros galet bien lisse qui brillait faiblement.

- Ceci, Crin d'Feu, est une pierre de rappel ! Hé, venez tous, on nous rappelle !

La compagnie vint se regrouper autour du mage, les yeux brillants d'espoir.

- On ne sait pas d'où ça vient, objecta le dénommé Turgon.
- On y va. Où qu'on aille, ça ne peut pas être pire qu'ici ! Alors on soignera le chef de l'autre côté. Donnez-moi la main ! Prêts ?
- Crumble !
- C'est pas le moment, Crin d'Feu !
- Nan, Crumble, mon kodo !

L'animal était en train de brouter paisiblement les livres de la section "mythes et légendes". Entendant son nom, il s'avança d'un pas nonchalant, un ouvrage presque entier entre les dents. Zaarlath sauva le manuscrit avec un air de réprimande et, saisissant Crumble par la corne, il cria :

- Prêt !

Les soldats venaient de déboucher à l'angle du rayon. Zaknafein, tenant fermement la grosse patte poilue de Tautor, scanda les incantations à toute vitesse. Les soldats brandirent leurs piques, armèrent leurs mousquets. Fermant les yeux, serrant contre lui un recueil de contes pour enfant, Zaarlath fut entouré par une vive lumière et, en une seconde, c'est toute la petite troupe qui avait disparu.



Pour réapparaitre au beau milieu de la bataille.


Teledel, Zaarlath et Erzsébet




Chapitre 6 : Feu et Eau



Job fixait sur le portail un regard brillant d'espoir.

Les paladins avaient donné l'assaut sur Tranchecolline. Les maigres palissades qui entouraient le village ne les avaient pas retenus bien longtemps et les quelques bataillons de grunts qui tentaient de leur faire barrage ne tiendraient pas éternellement. Leur seule chance résidait dans cette invocation.

Lorsque Teledel vit se matérialiser, devant ses yeux, une douzaine d'aventuriers dépenaillés à l'air harassé, un troll chétif, un kodo somnolent et un tauren agonisant, il jeta à Job un regard atterré.

- C'est "ça" notre chance ?

Job ne l'écoutait déjà plus. Il s'était jeté à genoux au coté de Tautor et s'écria :

- Tauralar ! Tauralar ! Mais que s'est-il passé ? Que lui est-il arrivé ?
- Ha, je vois ! s'écria Zaknafein. On nous sauve de la poêle pour nous jeter au feu ! Bravo ! Bien !

La réalité du combat les empêcha de poursuivre plus loin leurs effusions. Déjà les Paladins avaient ouvert une brèche dans les lignes orc et se lançaient, sous les ordres de leur prêtresse, à l'assaut des lanciers trolls, lorsque, soudain, un sortilège frappa l'un d'eux en pleine course, l'incinérant en une fraction de seconde.

Teledel et Zaknafein se fusillèrent du regard :

- C'était moi.
- Nan ! C'était moi !

La bataille s'engagea et les Crumbles purent faire montre de leur habileté au combat. Tandis que Turgon et Elendel plongeaient dans la mêlée, Punker, qui décochait flèche sur flèche, faisait mouche à chaque coup. Teledel et Zaknafein avaient trouvé dans le feu une passion commune mais, alors que le cuistot semblait éviter tout contact avec l'ennemi, Teledel s'était jeté au corps à corps et assénait à ses ennemis de larges coups de sa lame embrasée.

Job avait finalement délaissé la neutralité si chère aux gobelins pour tester son engin explosif, qui fit effectivement des ravages.

Erzsébet aussi était de la partie, elle était revenue et, profitant de sa petite taille, elle s'était glissée parmi les rangs ennemis, jetant malédictions et sortilèges, brouillant la vue et fissurant les armures.


Quand à Zaarlath, il restait en retrait.

Penché sur le corps de Tautor, il observait, impuissant, le sang qui s'écoulait de la plaie. Il avait donné à Zaknafein une parole qu'il ne pouvait tenir : cette blessure était trop large, et les onguents magiques n'avaient aucun effet sur elle. Seulement...

Seulement pendant une petite seconde, il avait été trop heureux d'être celui sur lequel le moral de chacun reposait, celui qui venait apporter un peu de lumière et d'espoir à un moment où tout semblait perdu. Etre la "petite bougie", comme disait Zaknafein.

Bougie !

C'était donc cela ! Zaarlath releva la tête, brusquement. Les onguents ne fonctionnaient pas, certes, mais le feu restait un moyen efficace de cautériser rapidement une blessure. Le jeune troll n'avait jamais été très doué avec un briquet, mais les rudiments de chamanisme enseignés par Vhail'Jin allaient enfin lui servir. Après quelques murmures, les paumes de ses mains, devenues brulantes, rougirent, et il les appliqua aussitôt sur le flanc du tauren.

Un hurlement retentit.

***


Légèrement en retrait, dame Pixelle observait avec mécontentement ses troupes perdre du terrain.

Comment une troupe d'aventuriers pouvait-elle tenir tête à de nobles paladins du royaume ? Et surtout, comment un petit village isolé avait-il pu obtenir de si puissants renforts aussi vite ?

Tout n'était pas perdu, cependant. Pixelle ferma les yeux et, tirant sa capuche sur sa tête, elle entama, les mains jointes, une prière à la lumière. La magie sacrée afflua brusquement dans ses veines avant de se déverser, chaude et bienfaisante, sur le régiment de chevaliers.

Sous les yeux ébahis de la horde, les soldats de l'alliance étaient devenus invincibles. Leurs blessures cicatrisaient instantanément, et le feu semblait ne plus les atteindre. Dame Pixelle, flottant à quelques mètres au dessus de ses hommes, irradiait d'une puissante énergie sacrée qui s'écoulait sans discontinuer.

La chance avait de nouveau tourné lorsque, soudain, une voix tonitruante s'éleva au dessus de la mêlée :

- Je suis Tauralar, dernier fils des Blacksthor, Chaman du clan Sabot de Sang, et j'exige de savoir ce que signifie tout ceci !

Tautor se tenait debout sur une butte de terre, bien en vue de tous. Sa silhouette massive et son ton autoritaire imposaient le respect et la crainte. Les hostilités cessèrent aussitôt.

Pixelle, malgré la distance, avait bien entendu les paroles du tauren. Posant doucement pied à terre, elle repoussa négligemment sa capuche, tandis qu'un sourire malicieux se dessinait sur son visage tacheté.

Voyant les troupes de l'alliance battre en retraite, Tautor descendit sur la grand place, à pas lents. Soudain, il vacilla. Zaarlath le soutint, immédiatement suivi des autres Crumbles.

- Les mots, jeune troll... marmonna Tautor. Si tu ne peux vaincre par le fer, utilise ta langue.

***


Tautor et Pixelle s'étaient retirés depuis maintenant une bonne heure. De la maison de Job, qui faisait office de terrain neutre, s'élevaient parfois quelques éclats de voix. Il était question de chasseurs et de dragons, mais le reste était inaudible.

Zaarlath, resté sur la grande place, rassemblait les bocaux qu'il y avait éparpillé, tout en gardant un œil anxieux sur les troupes de l'Alliance, qui se tenaient bien en rang, un peu à l'écart de la ville.

- Un coup d'main ?

Zaarlath leva les yeux et vit la haute silhouette d'un elfe de forte carrure, penché sur lui. Il remarqua cette coiffure étrange, à la mode orc, comme si les cheveux de l'elfe avaient été volontairement emmêlés et englués par petites mêches. Il avait déjà vu cette tête auparavant.

- Vaudou hein ?
- Heu, je suis démoniste, oui... répondit Teledel, à mi-voix.
- J'ai de mauvais souvenirs avec les sorciers.
- Et j'ai de mauvais souvenirs avec les "twolls".

Ils se regardèrent droit dans les yeux d'un air de défi, jusqu'à ce que Teledel ajoute :

- Mais j'ai pas envie de me prendre la tête. Je m'appelle Teledel, et toi ?
- Zaarlath, Zaarlath des Sombrelances.
- "Taz'bingo", Zaarlath ! Dis... Tu ne portes pas leurs couleurs, je veux dire... les autres avec qui tu es arrivé... Tu es...
- Un vagabond, maintenant, je crois. Je suis guérisseur !

La porte de la maison de Job s'ouvrit et Job, Pixelle et Tautor en sortirent, avec tous trois un sourire cordial accroché sur le visage.

- Heureux que nous soyons parvenus à un arrangement satisfaisant, madame !
- Honorez votre part du marché, j'honorerai la mienne, sire Blacksthor.

Sur quoi la jeune femme enfourcha son cheval et repartit au galop vers ses troupes, qui ne tardèrent pas à plier bagage.

Les Crumbles se concertèrent quelques minutes, puis, au bout d'un moment, Tautor s'avança vers Zaarlath.

- Salut jeune troll ! Zaknafein m'a raconté ce que tu as fait pour nous dans Dalaran ! Je dois te dire merci.

Le tauren aperçut, pendant à la ceinture de Zaarlath, le totem de bois offert quelques années plus tôt.

- Tu as parlé aux esprits ?
- Une seule fois. Je n'ai même pas compris ce que j'ai fait.
- Ce totem ne te convient pas, rends-le moi !

Zaarlath décrocha la pièce de bois et la remit à Tautor, une pointe de déception dans le regard. Mais le tauren lui tendit immédiatement un autre totem en échange.

- Celui-ci devrait te parler !

Tandis que ses mains parcouraient doucement le bois, sculpté en forme de femme ailée, Zaarlath entendit en effet un murmure. Cela lui rappelait le bruit du vent sur les dunes des Tanaris, ou dans les voiles du vaisseau qui l'avait amené en Azeroth. Le vent...

- Ecoute, Crin d'Feu, avec Zak, on en a discuté et, on aimerait beaucoup que... que tu viennes avec nous, que tu devienne un petit Crumble. Qu'en dis-tu ?

Le coeur de Zaarlath fit un bond dans sa poitrine à cette idée. faire partie des Crumbles était sans nul doute un honneur sans pareil. Pourtant, après tout ce temps passé à voyager au coté de Vakivaltä, il pouvait enfin gouter à l'indépendance et une petite voix au fond de sa tête lui criait de ne pas s'engager. C'est sans réellement comprendre pourquoi qu'il répondit :

- Désolé, je préfère rester seul.

Mais au fond de lui, une idée venait de naitre. Celle d'un ordre qui serait le sien, et qui répandrait son idéal de non-violence à travers le monde. Il serra Tautor dans ses bras, accrocha le totem à sa ceinture et commença à s'éloigner lorsque Teledel le héla :

- Hé ! Zaarlath ! Moi aussi je vagabonde. Je me disais... 'fin t'as pas l'air très costaud. Moi j'aurais bien besoin d'un guérisseur, alors si... si je peux te prêter mon épée...


Zaarlath sourit. Vakivaltä avait l'habitude de dire que c'est parmi les impies qu'il faut prêcher la foi. Il venait tout juste de trouver son premier disciple.

- D'accord Vaudou. Mais retiens bien une chose ! On dit "Taz'Dingo" !






Interlude



Jared ferma son œil valide et, soufflant par les narines, il laissa la fumée de sa pipe envelopper doucement son visage.

Se balançant d'avant en arrière sur sa chaise, il se délectait de tous les bruits de la taverne. Le vieux bois arraché à la coque d'un bateau grinçait de toutes parts et parfois, les jours de grand vent, c'était toute la Baie du Butin qui oscillait sur ses maigres pilotis.

Dehors, la nuit commençait à tomber. Les marins finissaient de décharger les marchandises venues de Kalimdor et les mouettes, décrivant de larges cercles, descendaient sur les navires de pêche maintenant amarrés dans l'espoir d'y voler quelques prises. Le lent roulis des vagues se faisait de plus en plus distinct.

A coté de lui, Oni soupirait à intervalles réguliers, impatiente. La jeune elfe au tempérament de feu, n'appréciait guère de rester coincée sur une chaise, à attendre. Au fond de la salle, le reste de l'équipage discutait à mi-voix. Il n'y avait pour ainsi dire que deux personnes : Smorb, un orc colossal, et Luthor, qui se disait le plus sage parmi les humains. Jared savait qu'aucun des deux n'approuvait sa décision d'accueillir un nouveau membre, mais il s'en moquait. Il était le capitaine après tout.

Dehors, quelques pas résonnèrent sur le ponton de bois, et la porte de la taverne s'ouvrit. Un troll entra, un troll massif aux cheveux couleur de paille, portant sur chacun de ses flancs un sabre de la taille d'un bras humain. Le nouveau venu s'assit en face de Jared, et ce dernier inclina la tête en guise de salut.

- Bien, commençons. Parle-nous un peu de toi mon ami !

Le troll s'exprimait avec un fort accent et semblait avoir de nombreux problèmes d'élocution :

- Zerhear ! Zerhear venu de l'aut' côté de la mer. Elevé par humains du désert, un peu idiot, mais fort ! Très fort ! Avoir recueilli par Furies-des-Sables ! Furies-des-Sables, grands guerriers, Zerhear honore tribu ! Mais Zerhear doit quitter Furies-des-Sables. Doit chercher autre tribu. Zerhear vouloir être "Ekipajh".

Jared acquiesça , souriant.

- Nous verrons cela. Mais avant, dis m'en plus. Pourquoi avoir quitté les tiens ? Pourquoi veux-tu faire partie de mon équipage ?
- Zerhear doit voyager ! Voyager vite pour trouver le traitre. Ta tribu a des bateaux, hein ?

Jared fit un signe de tête évasif. Il n'avait pas encore de navire, à proprement parler, mais dans l'immédiat, il avait besoin de plus d'hommes.

- Et ce traitre, qui est-il ?
- Un ami ! Lui sauvé Zerhear des humains. Lui héros mais lui parti. Parti enfant. Maintenant, Zerhear encore besoin d'aide.

Une lueur presque fanatique brillait dans les yeux du troll lorsqu'il prononçait le mot "ami". Il semblait vouer une admiration indéfectible à son sauveur.

- Résumons, tu veux bien ? Donc, Zerhear, tu as abandonné ta tribu pour partir à la recherche d'un traitre qui se trouve être ton ami, c'est bien ça ?

Le pirate ayant prononcé ces mots avec un grand sourire, le troll hocha vivement de la tête, très fier de lui et visiblement inconscient de l'absurdité de la chose. Jared et Oni se regardèrent un instant, l'air grave, avant d'éclater de rire, et Jared jeta quelques cuivres au milieu de la table.

- C'est bon, Zerhear, tu fais partie de l'équipage ! Amène-nous des bières !

Le troll se leva aussitôt et partit commander. Oni, qui se retenait maintenant de rire, en avait les larmes aux yeux. Elle se pencha vers Jared.

- Quand même, t'es sûr que c'est bien prudent ?

Jared tira une longue bouffée sur sa pipe et souffla vers le haut avant de répondre, très détendu :

- Tu as bien vu, il est complètement idiot. Fais-moi confiance, c'est pas ce troll qui va changer notre routine...

Zerhear revint, trois chopes à la main, et s'assit. Oni lui lança un grand sourire :

- Alors, moussaillon, si tu nous parlais un peu de ton ami le traitre ?




Oni et Jared



Chapitre 7 : Mousson



Tranquillement allongé sous l'abondant feuillage d'une fougère arborescente, Zaarlath regardait la pluie ruisseler tout autour de lui.

De temps à autres, il piochait dans un bocal une poignée de petits poissons séchés, tout en écoutant d'une oreille amusée ses compagnons qui vociféraient sous la tente.
Erzsébet vociférait, plus exactement, tandis que Ledah et Teledel subissaient. Le sujet du jour semblait être la répartition de la corvée de cuisine, et Zaarlath regarda son bocal de poisson, heureux d'être à même de préparer des repas que, de toute façon, lui seul mangerait.

Suite à l'assaut sur Tranchecolline, Zaarlath et Teledel, avaient décidé de découvrir le monde. Ledah, le jeune druide qui avait participé au sort de transfert, avait insisté pour faire partie du voyage, et Erzsébet, maugréant un peu, avait suivi son tuteur. Faisant leurs adieux à Job et aux Crumbles, ils étaient partis vers le nord, à travers les vertes forêts d'Orneval, jusqu'à arriver au légendaire bois de Felwood. Ce lieu de mort et de maladie portait encore, malgré les années, toutes les séquelles des conflits passés, et pas une fleur n'y naissait sans épine ni poison. Sur une requète de Ledah, ils avaient fait une halte au Sanctuaire de Moonglade, le refuge des Saisons, et s'étaient prosternés devant l'Archidruide Stormrage, le héros de la Grande Guerre, avant de reprendre leur route, toujours vers le nord. Leurs pas les avaient menés dans les neiges éternelles du Berceau de l'Hiver, et Crumble, le petit kodo, eut toutes les peines du monde à suivre le rythme pour atteindre la ville de Long-Guet. Il y parvirent, cependant, et Crumble, bien que malade, fut rétabli au bout d'une semaine de repos.

Cependant l'argent commençait à manquer, et la petite compagnie dut se mettre en quète d'un travail.

"Risques potentiels mais forte récompense !" disait l'annonce. Aussi, confiant leurs montures aux soins de la mission Crumble locale, avaient ils embarqué sans mot dire, avec armes et bagages, sur le zeppelin qui les mena à Un'Goro.

Le cratère d'Un'Goro était, selon nombre d'historiens plus ou moins renommés, le berceau de la vie. Situé à l'extrême sud du continent de Kalimdor, ce gigantesque trou de verdure était resté vierge de toute civilisation et des créatures d'un autre age y vivaient, épargnées par les siècles. De fabuleuses légendes circulaient à propos de kodos gros comme des dragons, et on disait que les arbres y étaient plus grands que les sommets de Darnassus. Beaucoup d'aventuriers avaient plongé dans le gouffre luxuriant, en quête de fortune et de gloire, mais beaucoup moins en étaient revenus, et les "trésors" qu'ils avaient rapportés prenaient aujourd'hui la poussière dans les laboratoires de Dalaran. Un'Goro n'avait jamais révélé ses mystères, et c'est le coeur rempli d'excitation que la compagnie avait vu le zeppelin descendre vers le cratère.

Déjà du ciel on entrevoyait un peu de la vie qui grouillait sous les feuilles, des silhouettes fugitives bondissaient de branche en branche, faisant fuir des
nuées d'oiseaux multicolores, et la jungle toute entière résonnait au cri d'animaux gigantesques.

Malgré les protestations de ses passagers, le capitaine ne voulut pas descendre sous la canopée. Il fit préparer une nacelle où Erzsébet, Zaarlath, Ledah et Teledel embarquèrent pour être descendus par des cordes jusqu'au fond du cratère.

Leur mission consistait à venir en aide à une expédition archéologique qui ne donnait plus signe de vie mais, depuis leur arrivée, une pluie battante et ininterrompue avait noyé le sol, cinq jours durant, et les quatre secouristes avaient estimé bon de se hisser sur un plateau rocheux et de n'en plus bouger jusqu'à la fin du déluge. Mais depuis cinq jours, leurs nerfs étaient mis à rude épreuve car, de leur perchoir, ils entendaient, sans jamais rien voir, tous les bruits de la jungle alentour. Des rugissements terrifiants les réveillaient au beau milieu de la nuit et, le jour, de larges ombres survolaient furtivement le campement. Ils pouvaient sentir, en permanence, un millier d'yeux posés sur eux, et la peur, la faim et le manque de sommeil, au matin de ce sixième jour, commençaient à éprouver leurs limites.

Erzsébet surgit hors de la tente, les cheveux en bataille et l'air furieux, tenant un livre à la main. Zaarlath s'apprêtait à la taquiner lorsque le livre lui atterit sur le ventre, coupant ses plaisanteries en même temps que son souffle.

- Tu te tais et tu lis.
- Je me tais ou je lis ?

Regard noir. Il décida de ne pas insister. Depuis quelques mois, la jeune sorcière essayait d'inculquer la lecture au troll. Faute de manuel, ils avaient le livre volé à Dalaran. "Les Avantures de Bob Lennon" était récit d'humour, narrant les péripéties rocambolesques d'un trio fictif, et l'ascencion de leur chef, le bouffonesque Prince Bob, jusqu'au statut de Roi.

Erzsébet affirmait n'avoir jamais lu pareil ramassis de bêtises, mais Zaarlath, lui, s'en amusait et prenait grand plaisir à le lire.

La matinée était bien avancée, et quelques minces rayons de soleil perçaient à nouveau le toit de feuillage lorsque Ledah et Teledel sortirent de la tente, armés et équipés. La pluie avait brusquement cessé, et les nuages se dispersaient doucement.

- Peut-être devrions-nous commencer les recherches, marmonna Ledah.

Tout engoncé dans son armure de cuir matelassé, le druide portait, dans une main, un large kukri gravé de runes, et dans l'autre un petit écu de fer frappé d'un arbre vert.Teledel, lui, avait échangé son habituelle robe de sorcier pour des vêtements plus adaptés aux éléments. Son large pantalon couleur sable était rentré dans ses hauttes bottes et, sous sa chemise de lin, on pouvait voir les contours d'un plastron de cuir. A ses cotés pendaient, comme toujours, sa longue épée magique, et la petite dague de Job.

- Il faudrait que quelqu'un garde le campement, juste au cas-où, dit-il. Erz, tu... ?

Erz ne répondit pas. Elle se leva d'un air maussade et, emportant le livre avec elle, disparut dans la tente. Teledel haussa les épaules, tout en maugréant une phrase où seuls les mots "caractère" et "cochon" furent audibles, avant de se tourner vers Zaa.

- Prêt, Crin d'Feu ?

Le troll ne portait que son éternelle chemise jaune (qui avait été blanche, jadis), et un vieux sarouel en cuir rapiécé, mais il bondit sur ses pieds, et, après avoir vérifié que son petit totem de vent était bien accroché à sa ceinture, il saisit son grand bouclier de bois, appuyé contre un arbre.

- Toujours prêt, Vaudou !

Sur ces mots, il sauta joyeusemment dans le bouclier et, dans un long cri entrecoupé de hoquets dus aux reliefs du terrain, il dévala d'une traite la pente qui le séparait du fond du cratère. Teledel et Ledah se regardèrent, las.

- Foutu troll.




Chapitre 8 : Colosses



Ils marchaient à travers la jungle depuis plusieurs heures maintenant.

Jamais ils n'auraient pu se frayer un chemin dans l'épaisse végétation sans l'aide précieuse de Ledah qui, grace à ses pouvoirs druidiques, faisait reculer les lianes et les ronces. Mais la nature, en ces lieux, était primitive et indomptée, et l'enchantement semblait n'avoir un effet que temporaire. Derrière eux déjà, le chemin tracé s'était refermé.

Ils avaient décidé de se rapprocher du centre du cratère, d'où l'expédition disparue avait envoyé une dernière fusée de détresse. Sous leurs pas, la terre boueuse se faisait de plus en plus noire et, depuis un moment, c'était la végétation qui semblait moins dense. Petit à petit, ils eurent moins de mal à progresser, mais quelque chose d'autre les fit ralentir : devant eux, depuis le centre du cratère, leur parvenaient des mugissements et des bruits de lutte. On pouvait aussi distinguer, entre les arbres, une épaisse fumée noire qui s'élevait vers le ciel.

Et soudain s'ouvrit, devant eux, une gigantesque clairière au sol tapissé de cendres, au centre de laquelle trônait une sinistre montagne au sommet fumant, crachotant charbon et braises. Et au pied du volcan, couverts de poussière et de sang, deux géants se livraient une bataille sans merci. Le plus grand des deux adversaires était un lézard titanesque, dressé sur ses pattes arrières, et doté d'une machoire assez large pour gober un orc. Sans macher.

En face de lui, titubant et bavant des litres de sang, un Tauren colossal, couvert d'une épaisse armure, faisait des moulinets avec une énorme hache de guerre, essayant tant bien que mal de maintenir le monstre à distance. Mais sa force semblait décliner.

***


Zarkor déglutit. Le gout du sang excitait ses papilles tandis que l'adrénaline faisait taire sa douleur et, à l'heure de sa mort, cet afflux de sensations, diverses et intenses, était le bienvenu. Ses muscles privés de sang commençaient à faiblir. Constatant cette baisse de tension, l'animal chargea une nouvelle fois, mais fut accueilli à grands coups de hache sur le museau.

Zarkor ne se faisait pas d'illusion, le prochain assaut aurait raison de lui. La bête allait gagner son casse-croute, mais il avait sauvé ses compagnons. Il avait accompli son devoir.

Il ferma les paupières, serein.


Crrraaac !


Zarkor ouvrit les yeux.

Pour se retrouver nez à nez avec un troll roux. Au dernier instant, Zaarlath s'était interposé entre lui et le reptile, et le grand bouclier de bois qu'il avait brandi en couverture avait encaissé le choc ! Ledah et Teledel avaient aussitot pris le relais : tandis que ses pattes étaient empêtrées dans d'épaisses ronces invoquées, le monstre avait reçu le sorcier en plein flanc. Un bon coup d'épaule, il n'y a rien de pire quand vous avez les pieds pris.

Cela laissa à Zaarlath le temps de faire rouler le Tauren sur son bouclier, pour le tirer hors d'atteinte, et lui appliquer les premiers secours.

Avant de s'évanouir, Zarkor eut à peine le temps de murmurer :

- Dans le volcan...

- A l'aaaide ! Sale troll, fais ton job, ou il va m'boulotter !

Teledel était en effet en mauvaise posture : tenu en étau, debout dans la gueule du monstre, il resistait de toutes ses forces. Du fond de ladite gueule émanait une lueur violette, émise par tous les sorts de faiblesse que le sorcier avait lancés pour accroitre ses chances de survie. Cela ne semblait pas suffisant et Ledah était trop loin pour lancer autre chose que ses bénédictions aux fines herbes.

Marmonnant un "désolé" approximatif, Zaarlath fit rouler Zarkor dans la boue et, tenant son large bouclier à deux mains, il se jeta sur la bète, lui assénant de grands coups sur le museau et les yeux. L'animal finit par lacher prise et Teledel, sans perdre une seconde, enflamma son épée et la plongea d'un coup dans le palais du reptile, qui tituba un moment, avant de s'écrouler, terrassé.

- Pfiou, il s'en est pas fallu de beaucoup, marmonna Ledah, essouflé

***


- "Dans le volcan", tu dis ?

Depuis un bon quart d'heure, ils tournaient en rond au bord de la clairière. La corpulence du Tauren ne leur permettrait jamais de le ramener au campement. De plus, il restait certainement d'autres survivants quelque part, et ces mots, "dans le volcan", étaient leur seul indice.

- C'est p'têt pas un code, dit Zaarlath. Peut-être qu'on devrait juste grimper.
- Ouais, c'est ça, excellente idée ! Et très rassurante perspective ! pesta Teledel.
- De toute façon, ici ou là haut, on est en sécurité nulle part dans cette jungle.

Un cri rauque secoua le cratère, appuyant les paroles de Ledah.

- Bon, ok, on monte ! T'façon j'ai rien de mieux à proposer.
- Finir grillé, pour un pyromane, ce serait un comble ! railla Zaarlath
- Hé ! J'ai dit ok. T'en rajoute pas !

***


Ils grimpaient depuis une bonne demi-heure sur les flancs de la montagne, trainant Zarkor sur le bouclier, lorsque des voix leurs parvinrent :

- Hé, psst, amenez vous !

Ils levèrent tous trois la tête. D'une large ouverture, que l'érosion avait creusée dans la roche, une petite tête verte émergeait. Un gobelin. Ils se trainèrent, méfiants, jusqu'à l'entrée de la grotte, pour y découvrir une bonne dizaine de réfugiés à peau verte, assis sur de petites caisses de victuailles, l'air crasseux et misérables. Ils avaient retrouvé l'expédition !

Au fond de la grotte, un large puits laissait échapper une lueur rougeatre. Suspendu à une grosse poulie, un ascenseur permettait de descendre vers les profondeurs de la montagne.

- Vous avez sauvé Zarkor ! Je vous en remercie ! dit l'un des gobelins, coiffé d'un casque de chantier surmonté d'une chandelle éteinte. Je m'appelle Clamp, je suis le guide de cette expédition. Si l'on peut vraiment parler de guide, car qui connait ce fichu cratère, hein !? En fait, je suis plutot un spécialiste en spéléologie, et un casse-cou de première.

Le gobelin leur servit à chacun une chaleureuse poignée de main, avant de tendre son bras vers le reste de l'équipe :

- Ici, le nez dans la paperasse, vous avez Niol, directeur de l'équipe scientifique. Ses gars sont en bas, ils prélèvent quelques échantillons. Là bas vous avez Thun, le mécano-magus. Il essaie de réparer le whisp de Gren, l'officier de communication.

Le dénommé Thun était en effet en train de s'affairer sur une petite orbe de couleur violette. Un "whisp" était une sorte de boule de cristal de voyage, qui permettait de communiquer de n'importe où, avec n'importe qui disposant d'un autre whisp, à condition que l'engin fonctionne.

- Et qui dirige le tout, ici ? s'enquit Teledel.

Clamp pointa son pouce en direction d'un recoin sombre de la grotte, où deux hautes silhouettes discutaient à mi-voix. Des humains. Le premier était un homme maigre et sale, à moitié vautré sur un énorme tonneau. Il parlait d'une voix rauque en agitant une chope en fer qui débordait un peu partout sur le sol de la grotte. La seconde silhouette, plus petite et gracieuse, était celle d'une femme. Voyant qu'elle était observée, elle fit quelques pas vers les visiteurs et, s'avançant en pleine lumière, découvrit un visage pâle, encadré de longs cheveux chatain, et constellé de tâches de rousseur.

- Bonjour, Zaarlath !




Chapitre 9 : Courage et Piraterie



Sous le soleil de plomb des mers de l'ouest, le ventre gonflé de mauvais rhum, un petit navire remontait doucement la cote de Kalimdor.

Au sommet de son unique mât pendait nonchalamment le pavillon rapiécé des Flibustiers du Maelström. Détail amusant car, malgré ce nom d'équipage pompeux, la coque de noix était tout à fait inapte à traverser le fameux Maelström des mers centrales, et le simple voyage de la Baie du Butin au port Gentepression avait déjà valu aux flibustiers quelques péripéties et cinq tonneaux à la mer.

Le Capitaine Jared, qui venait d'investir ses maigres économies dans ce bâtiment rongé par les termites, avait estimé plus sage, désormais, de longer la cote pour rejoindre le port de Cabestan, au nord, mais il commençait à se faire du souci car, si les gobelins et les orcs ne se montraient pas très pointilleux sur le trafic maritime, il n'en était pas de même pour les habitants de l'ile de Theramore, terre qui commençait doucement à se profiler à l'horizon.

Tandis que Smorb et Luthor jouaient aux dés en surveillant d'un œil distrait la tenue des voiles, Oni, incapable de tenir en place, s'était mis en tête de nettoyer le pont.

Assis à cheval sur la proue, Zerhear faisait office de vigie. Sous ses airs benêts, le troll s'était souvent révélé être un allié de poids. Sa force extraordinaire abattait le travail de trois hommes, et ses cinq sens, aiguisés par la vie dans le désert, faisaient preuve d'une acuité rare. Là où le reste de l'équipage ne voyait qu'une masse sombre se dessiner au loin, il voyait, lui la nué de petites voiles qui entouraient Theramore comme un vol de mouettes entoure un chalutier.

Notons que "petites" est ici une appréciation erronée due à la distance, car ces voiles appartenaient aux fiers navires de Jaina Proudmoore, des trois mâts armés jusqu'aux dents et pilotés par l'élite navale d'Azeroth. Fille du grand Amiral Daelin Proudmoore, la jeune sorcière faisait honneur à sa mémoire en entretenant une forte tradition maritime.

Zerhear passa la main dans sa tignasse couleur de sable et jeta un regard tranquille au scorpide qui, posé sur son épaule, mâchouillait un morceau de viande. Le troll n'était pas inquiet. Jamais il n'avait appris à concevoir la vie de cette façon. Dans son esprit simple, elle pouvait bien le porter où elle voulait, la vie. Tout irait bien tant que ses deux compagnons, un scorpide et une chauve-souris, seraient avec lui, et que ses sabres lui battraient les cuisses.

Un léger vent commençait à souffler du nord-ouest, faisant doucement trembler le foc. Jared commença à ajuster le cap.

- Smorb ! Zer' ! Aux écoutes de grand-voile ! On va serrer le vent, je veux que l'ile de Theramore soit derrière nous avant la nuit ! Oni, descends-moi ce pavillon noir, s'il te plait. Faudrait pas faire mauvaise impression. Luthor ! Occupe-toi du foc !

L'équipage s'exécuta et le bateau commença à prendre de la vitesse. Oni s'empara de la longue vue et entreprit de scruter en direction de l'ile. Deux navires commençaient à se détacher du ballet harmonieux de voiles blanches pour venir dans leur direction.

- On est repérés, Ja ! On fait quoi ?

Jared ne répondit pas. Les deux mains crispées sur le gouvernail, il était en proie à un dilemme. Jusqu'à ce jour, ses activités de pirate s'étaient limitées à boire du rhum jusqu'à quatre heures du matin, distribuer des gnons dans les tavernes à des gens aussi ivres que lui et entretenir quelques trafics plus ou moins réprouvés par la morale.

De la "vraie" piraterie, il ne connaissait rien. Les abordages sanglants, les courses poursuites sur une mer déchainée, les combats de sabre au bout du monde, il ne les avait accompli que dans ses rêves. Quand à son œil perdu "dans un glorieux combat", c'était une autre histoire...

Et tandis que la flotte de Theramore approchait, le petit Capitaine Jared réalisait que l'heure du choix était venue. Le moment qui déciderait si, oui ou non, il avait le cœur et l'âme d'un pirate. Ses articulations blanchirent sur le gouvernail.

- Ja ? Ils approchent ! On fait quoi ? Je vais chercher le pavillon blanc ?

Dans un élan dramatique, le Capitaine Jared lâcha d'une main le gouvernail, tira son sabre du fourreau et le leva au dessus de sa tête.

- Ma Dame et messieurs, orc, humain et troll...

Il y eut un instant de silence, sur fond de clapotis d'océan calme.

- Balancez-moi un tiers de la cargaison à la flotte, ça f'ra du bien aux poissons ! Serrez-moi ce vent au maximum ! Et j'm'en fous si on penche ! Oni, tu descends à chercher les fusils, tu les armes, et quand ce sera fait, tu vas armer le canon !

Un large sourire se dessina sur son visage.

- Mes amis... bienvenue dans la piraterie !


Jared



Chapitre 10 : Eruption



Sous sa capuche brodée d'or, Pixelle, la prêtresse d'Hurlevent, jetait au jeune troll un regard amusé.

Du fond de la grotte, l'homme à la voix rauque s'avança, choppe à la main, d'une démarche chaloupée. Sortant de l'ombre, il dévoila un visage crasseux, balafré et hérissé d'une barbe irrégulière. Il posa son regard sur les aventuriers.

- J'pensais pas que ce serait ça, les secours.
- On fait avec ce qu'on a, Bender. Alors, jeunes gens, quel est le plan d'évacuation ?

Zaarlath, abasourdi d'avoir à secourir son ancien adversaire, secoua la tête et donna un petit coup de coude à Ledah, qui extirpa de son sac une sorte de gros galet rond.

- On a un zeppelin posté sur le bord du cratère, dit le tauren. On tire une fusée et ils activent le rappel. Seulement, nos fusées ont été trempées par le déluge et...
- On a des fusées, intervint le dénommé Bender. On attend juste l'équipe qui est descendue et on lève le camp. Vous avez entendu les gars ?

Les gobelins autour d'eux lancèrent des acclamations.

- Il y a un autre problème !

Tous les regards se posèrent sur Zaarlath.

- Notre amie, Erzsébet, est restée au campement. Nous ne pouvons pas la laisser.

Le silence qui suivit fut interrompu par le grincement d'une poulie. Des profondeurs rougeoyantes du volcan, l'équipe scientifique remontait. Dès que la passerelle arriva, une dizaine de gobelins hystériques déboula dans la caverne, éparpillant relevés sismiques et autres courbes d'analyses. Niol, le directeur de l'équipe, examina les schémas qu'on lui présentait avant de lever un œil inquiet vers Pixelle.

- Une bonne et une mauvaise nouvelle, madame.
- Je t'en prie.
- Pas d'activité draconique ou élémentaire ancestrale, cette formation est naturelle.
- Par contre ?

Niol appuya ses lunettes contre ses yeux.

- Éruption dans moins d'une heure.

Tout le monde se figea dans un silence terrifié. Pixelle claqua des mains.

- Bon, pas de panique. Nous avons plusieurs fusées. Nous allons évacuer immédiatement l'équipe ! Bender aussi. Zarkor a besoin de soins. Dès que vous serez sur le zeppelin, dites-leur de se mettre en route. Nous tirerons une seconde fusée depuis le campement, vous avez intérêt à nous récupérer.
- Et vous, prêtresse ? demanda Bender.
- Je reste avec les étrangers, comme garantie que vous viendrez.

L'homme s'apprêta à objecter mais Pixelle l'interrompit d'un geste de la main, avant de se tourner vers les trois secouristes.

- J'ai une solution qui pourrait nous faire gagner beaucoup de temps. Qui est le plus rapide d'entre vous ?

Les regards de Ledah et Teledel se posèrent sur Zaarlath. Évidemment, la grande taille du troll lui avait toujours permis d'être le meilleur athlète, à défaut d'être le meilleur guerrier.

- Très bien, la vache et le blond, vous évacuerez aussi. Grand bleu, tu viens avec moi.

La fusée fut lancée, la pierre commença à briller et, dans un halo lumineux, les gobelins, Bender, Ledah, Teledel et un Zarkor évanoui disparurent.

Zaarlath attendait la suite, incertain. Pixelle s'empara du pistolet à fusées et, jetant un sac à dos au troll, elle courut vers la sortie. Du haut de leur corniche, perchés sur le volcan, ils voyaient s'étaler la vaste jungle. La canopée était toujours loin au dessus d'eux mais la végétation, à mi-hauteur des arbres, était beaucoup moins dense.

- Enfile ça, vite ! On en a qu'un, alors tu vas devoir me tenir. Dans quelle direction est votre campement.
- Par là, mais, heu... c'est quoi ça ?
- Un parachute. Ça va nous permettre de traverser, disons, trois-cent mètres sans toucher le sol. Ce sera ça de moins en ronces, fosses à goudrons et prédateurs à esquiver. Une fois à terre, on court. Prêt ?

Zaarlath n'avait pas son mot à dire. Tenant la prêtresse dans ses bras, il s'élança dans le vide et, après quelques secondes de vertige horrifié (ou d'horreur vertigineuse), il trouva la présence d'esprit d'ouvrir son parachute. Sous le choc, Pixelle glissa et le troll ne la rattrapa que de justesse. A une centaine de mètres en dessous, le sol défilait à toute vitesse. Jouant de leur poids, les deux parachutistes esquivèrent tant bien que mal les troncs et les branches d'arbres. Le sol approchait de plus en plus.

- Accroche-toi le troll ! On va pas tarder à atterrir !

Derrière eux, une détonation leur annonça que la course venait de commencer.

- On est trop loin ! hurla Zaarlath à travers le vacarme de l'éruption. On y arrivera jamais à temps !
- Alors quoi ? On est morts ?

Le regard du troll se posa sur sa ceinture.

Lors de l'attaque de Tranchecolline, Tautor avait repris le totem de la terre pour lui en confier un autre. La mystérieuse figurine de bois, taillée en forme de femme ailée, pendait à son côté. La lave commençait à s'écouler dans le cratère.

- Il nous faudrait juste... un peu plus de vent.

Libérant une main, il s'empara du totem. Cette fois-ci, le contact fut instantané : Zaarlath vit surgir autour de lui les esprits, comme autant de serpents blancs fendant l'air et, d'une impulsion de sa volonté, ils les appela à l'aide.

***


A bord du zeppelin, tout le monde scrutait la mer verte à la recherche de la moindre trace. Au centre du cratère, la lave s'écoulait comme une tache d'huile, dévorant tout sur son passage.

- Toute cette flore est perdue, soupira Ledah.

Bender passa tranquillement un coup de langue sur son papier à cigarettes.

- Tu rigoles mon garçon ? On a calculé que le cratère avait droit à un nappage caramel environ une fois par mois. Ça repousse toujours, cette salade est tout simplement increvable.
- Ils sont là ! hurla Teledel.

Paupières closes, le sorcier observait à travers les yeux d'un diablotin qu'il avait envoyé voler sous la cime des arbres. Le troll et la femme, tous deux pendus à une même voile blanche, se frayaient un passage à vive allure à travers la végétation.

Portés par un vent plutôt inhabituel, ils seraient bientôt au campement.

***


Erzsébet en avait assez d'attendre.

Les autres étaient partis depuis une éternité et elle avait eu le temps de faire la vaisselle, ainsi qu'un nettoyage complet du camp. Un bruit de casserole se fit entendre, hors de la tente, et elle sortit, dague à la main, pour découvrir Zaa et une humaine étalés dans les ustensiles de cuisine. Elle ouvrit la bouche pour rouspéter avant d'apercevoir, au loin, la coulée de lave qui déferlait vers eux.

Pixelle se leva d'un bon et voulut tirer une fusée vers le ciel. La fusée partit en vrille pour aller s'écraser près d'un nid de perroquets qui s'enfuirent à tire-d'aile.

Elle vérifia le canon. Plus qu'un essai.

La fusée partit, bien droit, à travers l'épais feuillage, et la détonation se fit entendre.




Chapitre 11 : Piments rouges



Votre dévoué narrateur aurait aimé vous dire que la course battait son plein, au long des cotes de Kalimdor.

Il sait combien il eut été plaisant de lire le récit d'un abordage sanglant sur une mer démontée, après une course poursuite héroïque entre lames de fond et cyclones, rythmée par les coups de tonnerre d'un orage furieux.

Mais l'honnêteté l'oblige à s'en tenir à la stricte vérité.

Il est donc au regret de vous dire que la course qui opposait le capitaine Jared aux corsaires de Theramore n'avait rien d'héroïque ni de palpitant. Sur une mer désespérément plate, par un vent quasi-inexistant, les trois navires avançaient comme au ralenti. Chacun déployait ses voiles autant que possible dans l'espoir de capter le moindre souffle de vent, et la palme revenait pour l'instant au plus gros des deux gallions, l'Antonidas, qui, centimètre par centimètre, gagnait du terrain sur la petite embarcation des pirates.

A bord, les flibustiers du Maelström s'apprêtaient à combattre. Jared, cramponné au gouvernail, regardait Smorb et Zerhear. L'orc et le troll, guerriers redoutables, étaient sans doute leur meilleur espoir de s'en tirer, mais face à des soldats entrainés et en surnombre, ils ne tiendraient pas bien longtemps. Il appela Oni à la barre et descendit à la cale. Il avait besoin de quelque chose pour lui donner du courage.

Devant lui, sagement alignés, les tonneaux de rhum l'invitaient à noyer un peu son angoisse. Le capitaine Ja' s'empara d'un gobelet de cuivre qui trainait sur les planches moisies, fit sauter le couvercle d'un tonneau et commença à puiser.

Sur le pont, au dessus de lui, il entendit rouler l'unique canon du bateau. Les corsaires seraient bientôt à portée de tir et, face aux quarante sabords prêts à cracher le feu, ils n'auraient qu'une seule chance avant d'être criblés de boulets.

Jared leva le coude de plus belle.

L'alcool commençait à lui monter à la tête. Il tituba et buta contre l'armoire de l'infirmerie.

Sur les étagères branlantes, quelques fioles roulèrent, faisant détaler une souris qui, dans sa course, bouscula la boite de seringues destinées aux saignées. Le coffret de bois plongea en chute libre dans un plateau de la balance posée un peu plus bas, faisant décoller du même coup le poids de deux-cent grammes qui trainait dans l'autre plateau. La petite masse de plomb traversa lestement la cale avant de s'écraser sur le couvercle d'un tonneau qui vola en éclats. L'un des débris partit voler un peu trop près de la toile d'une araignée qui décida de chercher un meilleur refuge, compromettant l'équilibre précaire de la petite étagère où Jared entreposait ses herbes à pipe. Les petits pots, contenant dorépines et fleurs de feu, tanguèrent sur l'étagère bancale, en équilibre au dessus du rhum.

***


A bord du gallion Antonidas, le commandant Grace Dawn savourait sa victoire. Plus besoin de longue vue, elle voyait les pirates s'agiter sur le pont de leur poubelle des mers. Même en sortant des rames ils n'avaient plus aucune chance de s'en sortir, et un combat de front serait peine perdue.

Ils se rendraient bien sagement, seraient conduits à terre et mis aux travaux forcés dans les champs de l'ile de Theramore.

Grace fronça les sourcils. Jaina Proudmoore était décidémment trop bonne avec ces pirates. Si cela ne tenait qu'à elle...

***


Jared décida qu'il avait assez bu et qu'il était temps de remonter sur le pont. Tirant sa rapière, il brailla de toutes ses forces :

- A l'abrodage, flistubiers !

Puis il s'écroula définitivement contre la paroi de la cale. Aussi pathétique soit-elle, cette dernière culbute détermina du sort des pots d'épices, en faisant pencher l'étagère du coté des fleurs de feu.

Les pétales rouges tombèrent comme au ralenti et Jared, à demi conscient, crut comprendre qu'il neigeait des piments.

***


D'un coup sec et décidé, Grace Dawn plia sa longue vue.

***


Un flocon de piment se posa dans la jaja.

...


Le tonneau explosa. La cale explosa. Le crane de Jared explosa.

Sur la mer la plus plate du monde, une déflagration titanesque remua les eaux.

L'arrière du navire pirate venait d'être pulvérisé et, propulsé par le souffle de l'explosion, la coque de noix filait maintenant à vive allure sous les yeux du commandant Dawn, laissant dans son sillage une trainée de feu rouge piment.




Chapitre 12 : Za & Ja



La taverne de Cabestan était très animée.

Le port était rempli de voyageurs qui faisaient le bonheur des commerces locaux et, sous un soleil de plomb, des concours de pêche étaient organisés du matin au soir dans le petit port. Assis à une table en terrasse, Bender sirotait une bière tout en plumant Teledel et Erzsébet aux dés, pendant que Pixelle et Zaarlath discutaient sur la plage. Ledah, lui, avait disparu.

Après une escale au port Gentepression, pour déposer les blessés, le zeppelin avait ramené les sauveteurs en Durotar, pour procéder au paiement, et ils profitaient désormais d'un repos bien mérité.

Assis sur le sable, une main sur le front, Zaarlath écoutait l'étrange proposition de Pixelle.

- Les Chasseurs de Dragons sont une équipe préventive, avait-elle affirmé. Nous nous rendons sur les lieux susceptibles d'abriter une entité élémentaire ancestrale, évaluons la menace, et agissons en conséquence. Le Pic du clan Blackrock est une zone très suspecte, et nous nous devons d'enquêter, mais seule la horde possède les Glyphes du clan, qui nous en auraient ouvert les portes. Thrall a toujours refusé de nous les confier.
- Donc... c'était ça, l'attaque sur Tranchecolline ?
- Je ne reculerai devant rien pour la sécurité des miens, j'espère que tu le comprends. Tauralar Blacksthor est chef de clan, il a pu parler au nom de Thrall et a accepté de nous confier les Glyphes.
- Tautor vous a confié le Glyphe ?

Pixelle baissa la tête.

- Pas encore. Les Crumbles ont volé quelque chose à Dalaran. Quelque chose qui leur a permis de marchander les termes de leur défaite. Ils ne nous donneront les Glyphes qu'à une condition.

Zaarlath plissa les yeux dans la lumière du couchant.

- Et c'est ?

Le regard de Pixelle fuyait, tentait de chercher refuge dans le remous des vagues. Elle soupira.

- Un... un hordeux doit venir avec nous. Pour le symbole, tu comprends. Et... je voudrais que ce soit toi, jeune troll.

Zaarlath s'attendait à tout sauf à ça. Abasourdi, il chercha un moment à rassembler ses idées.

- Moi ? Pourquoi ?

Pixelle avança une main et laissa affluer la magie sacrée, diffusant une aura chaleureuse et bienfaisante.

- On se ressemble, tu crois pas ? Je sens la magie en toi, jeune troll, seulement tu ne la maitrises pas, tu ne la canalises pas.

Zaarlath retroussa ses narines.

- La ville où je suis né était pleine de prêtre et de sorciers. Certains étaient guérisseurs mais tous puisaient leur pouvoir dans les idoles, les dieux et les démons. Votre "lumière" est malsaine, je le sens au fond de moi. Elle provient de puissances qui vous dépassent et, aussi brillante soit-elle, elle vous consumera comme la flamme consume l'allumette.
- Étranges paroles pour quelqu'un qui voyage avec un démoniste. Alors tu comptes utiliser des herbes et des onguents toute ta vie, alors que le pouvoir afflue en toi ?
- J'ai appris les rudiments du chamanisme, à Proie-de-l'Ombre. C'est tout ce que j'ai besoin de savoir. Tu me parles de pouvoir. Dois-je prendre une coupe et y verser le sang de ma mère pour le boire ?

Pixelle fut un peu déstabilisée par cette réflexion. De toute évidence, cette conversation faisait resurgir chez le troll des sentiments profondément enfouis, refoulés, et il était de plus en plus sur la défensive. Il ne fallait pas insister sur cette voie.

- Tu pourrais être un docteur remarquable.

Mais Zaarlath ne l'écoutait plus. Les yeux rivés sur l'océan, il semblait fixer l'horizon. D'un bond, il se leva, courut vers l'eau et plongea. Pixelle l'observa, intrigué, et distingua, dans les dernières lueurs du soir, une petite embarcation qui tanguait non loin. Quelques minutes plus tard, Zaarlath revint, tenant dans ses bras un Elfe de Sang, brun, plutôt séduisant sous sa couche de crasse et son cache-œil, et, visiblement, inconscient.

Voyant que les pêcheurs s'étaient passé le mot pour venir en aide au reste de l'équipage, Zaarlath décida de s'occuper de Jared. Il hésita un long moment, son regard allant de la prêtresse au pirate étendu devant lui, avant de lui pincer le nez. Plaquant ses lèvres bleues contre la bouche de Jared, il découvrit alors son unique œil, écarquillé dans une expression d'horreur absolue.

L'elfe et le troll firent tous deux un bond en arrière et toussèrent copieusement avant de se confondre en remerciements, excuses et autres formules de politesse.

Le radeau s'échoua sur la plage. Les survivants, à bout de force, descendirent sur le sable. Zaarlath leva la tête et croisa deux yeux. Deux yeux dans lesquels des années de voyage n'avaient jamais effacé la couleur du désert. Sous sa tignasse couleur de paille, Zerhear avait, lui, reconnu l'épaisse crinière rousse de l'enfant prodige.

Les deux trolls se regardèrent un long moment dans les yeux.

Zerhear s'écroula.

***


Zerhear ouvrit les yeux, découvrant un plafond de bois. Penché sur lui, son ami d'enfance lui appliquait un linge froid sur le front.

Le flibustier se redressa d'un coup. Une chambre, une auberge.

- Dart'! Val' !

Zaarlath lui posa une main sur l'épaule.

- Du calme. Du calme. Tu reviens de loin. Je pense qu'on a pas mal de choses à se raconter.

Le visage du guérisseur se fendit d'un sourire rassurant. Il désigna du menton une grande chauve-souris et un scorpide qui, tous deux accrochés au plafond, les fixaient intensément.

- On a trouvé ces bestioles sur le radeau, elles ne voulaient pas te lacher. Tu es toujours aussi doué avec les animaux à ce que je vois.

Il y eut un silence gêné.

- Alors, dis-moi, comment ça se passe à Zul'Farrack ? Comment vont Dartheik et Valrezza ? Vous arrivez à vous marrer sans moi ?

Zaarlath eut un petit pincement au coeur en évoquant la jolie trollesse, qui n'avait jamais vraiment quitté ses rêves. Zerhear commença à begayer :

- Zul'Farrack être p... pourrie. Corrompue et...
- Parle en Farracki.

Zaarlath ne pensait pas un jour éprouver du plaisir à entendre sa langue natale, mais le temps agit ainsi sur le souvenir : il le distille, et parfois le déforme pour n'en garder que l'essence précieuse des moments heureux. Cependant, les nouvelles étaient mauvaises.

Les sorciers du Zul'Farrack avaient usé et abusé de magie vaudou jusqu'à ouvrir des brèches sur Draenor, attirant l'attention des créatures de l'Outreterre. La population n'était pas au courant, mais Dartheik et Valrezza avaient découvert que les deux dirigeants, le sorcier docteur Zum'Rah et le grand Prêtre Sezz'Ziz étaient tombés sous l'influence des démons. Zul'Farrack n'avait jamais été un lieux de vie agréable, mais jusque là, c'était essentiellement pour entretenir une forte tradition guerrière. Aujourd'hui, la cité du désert tombait en ruines, accablée de sacrifices rituels et d'exemples violents. Les opposants ne faisaient pas long feu.

- Et Dart et Val, alors ? Ils sont...

Zerhear secoua la tête.

- J'ai réussi à les tirer de là à temps. Je leur ai évité l'écartèlement en place publique, mais je n'ai pas pu les sauver de...

Il sembla hésiter, et leva lentement les yeux vers le plafond. Zaarlath suivit son regard.

***


Dans la petite auberge de Cabestan, Teledel et Jared avaient d'abord essayé d'écouter à la porte, sous le regard mécontent d'Erzsébet, mais leurs amis s'étaient mis à parler en troll. Au bout d'une longue conversation, un silence pesant s'installa.

La porte s'ouvrit à la volée et Zaarlath, hoquetant et trébuchant, bondit hors de la pièce,Il dévala quatre à quatre les marches de l'auberge et déboula à l'extérieur. Le visage noyé de larmes et la poitrine soulevée par des sanglots irréguliers, il courut vers la plage et avança dans l'eau.

Ledah, revenant de sa cueillette, découvrit le troll, immergé jusqu'à la taille et brillant d'une puissante aura incandescente. Le jeune druide voyait les esprits de l'air se déchainer aux alentours, soufflant les torches et les lanternes du port.

Les eaux de la petite crique avaient gelé autour de Zaarlath et il hurlait maintenant à pleins poumons, déchirant le calme de cette nuit sans lune.

Puis le silence revint, la glace se brisa et le troll tomba à genoux.

Ses larmes vinrent se mêler au roulis des flots.





Deuxième Partie

Conclusion




Couverte d'une capuche en toile grossière, une silhouette courbée se faufile dans les rues d'hurlevent, sans un bruit.

C'est jour de marché sur la grande place, et personne ne prête attention à cet étrange personnage.

Il presse le pas, tenant entre ses longs doigts fins un morceau de parchemin qu'il manipule nerveusement.


Tu pourrais être un docteur remarquable.


Il s'arrete.


Il consulte son parchemin, examine les enseignes. Ayant identifié la bonne auberge, il s'en approche et pousse doucement la porte.

Il entre dans une salle commune vide, à l'exception de l'aubergiste et de quatre silhouettes qui, penchées au dessus de leurs chopes, discutent à mi-voix.




Il plisse les yeux, se concentre sur le plus frêle des personnages.

Des taches de rousseur...

Le grand bossu encapuchonné, s'avance à grands pas, éveillant l'attention des quatres complices, qui se retournent, main au pommeau.

D'un geste, il leur fait signe de s'apaiser et, relevant doucement sa capuche, il dévoile peu à peu une grande bouche, ornée de longues défenses, un petit nez crochu et, sous un front ceint de plumes multicolores, deux petits yeux verts et brillants.

Son visage se fendant d'un large sourire, il pose son regard sur la jeune femme. Ses yeux reflètent une tristesse infinie.

- Alors, petite humaine, c'est pour bientôt l'aventure ?








***



Fin de la Partie II







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